Revue de Presse 2

l’Humanité des débats. Education sexuelle

Du côté de l’information, c’est pas brillant !

Par Martin Winckler, médecin et écrivain.

De 1983 à décembre 2008, j’ai travaillé aux centres d’IVG et de planifi-cation de l’hôpital du Mans (Sarthe). Vingt-cinq ans ont passé, certaines choses ont changé, d’autres pas. Longtemps après la loi Veil, les femmes ont vécu l’avortement comme une déchéance. Elles se sentaient coupables de n’avoir pas « fait attention » (traduire : de ne s’être pas « bien tenues » en ayant des rapports sexuels…) ; elles avaient honte de commettre un acte moralement réprouvé. Selon que l’IVG leur était imposée par leur mari ou qu’elles la choisissaient, elles étaient mauvaises femmes ou mauvaises mères. Vingt-cinq ans plus tard, sur ce plan-là, les choses ont changé, en mieux. L’IVG est beaucoup moins souvent perçue comme un crime ou un péché, car la plupart des femmes connaissent quelqu’un autour d’elle qui y a eu recours sans dommages catas-

trophiques. Une IVG reste une décision difficile, parfois très mal vécue, mais le plus souvent perçue comme un accident de la vie - à juste titre : trente-cinq ans de fécondité, c’est long et difficile à « contrôler » - et non comme un signe de négligence ou de dépravation.

En revanche, l’information sexuelle et contraceptive des femmes laisse encore beaucoup à désirer. Les femmes sont aujourd’hui surinformées sur les risques des MST et de cancer du col mais sous-informées sur les manières d’éviter une grossesse non désirée. Beaucoup de médecins refusent un DIU (« stérilet ») aux femmes qui n’ont pas d’enfant, la pilule aux adolescentes qui fument, les implants sous prétexte que « c’est difficile à enlever », ou affirment qu’une baisse de libido sous pilule, « c’est dans la tête » - toutes affirmations parfaitement fausses, mais qui évitent d’écouter les femmes, de leur expliquer les méthodes et de prendre le temps de les laisser choisir. De même, les relations entre cycle menstruel, fécondité, contraception et sexualité ne sont presque jamais expliquées, alors que bien entendu tout est lié.

Le désintérêt des professionnels pour l’information des femmes est flagrant : j’ai publié en 2001, Contraceptions mode d’emploi, premier livre du genre destiné au grand public (1) ; en 2008, Tout ce que vous vouliez savoir sur les règles (2). Entre-temps, peu de médecins ont publié sur ces sujets des livres destinés au grand public.

Les insuffisances de l’éducation nationale sont criantes : les dispositions éducatives de la loi de 2001 (trois heures d’information par an dans toutes les classes du secondaire) ne sont pas appliquées.

L’Internet est en train de changer la vie des femmes plus vite que ne le font les médecins, l’école et l’État. Depuis 2004, mon site personnel (3) reçoit chaque jour près de 4 000 visites, surtout sur ses pages consacrées à la contraception et à la sexualité. En 2007 l’INPES a mis sur pied un site national sur la contraception (4), dont on m’a confié ( !) la rédaction scientifique. Un nombre croissant de sites et de forums permettent aux femmes de partager expériences et informations. Sur tous ces sites, la lecture des témoignages laisse rêveur : aujourd’hui encore, les femmes françaises n’obtiennent pas de réponses quand elles posent des questions sur la sexualité et la contraception. Les médecins français (à commencer par les gynécologues, qui clament haut et fort que leur profession est indispensable, mais qui pour beaucoup l’exercent bien mal) ne prennent pas le temps de les écouter, refusent de leur prescrire la contraception qu’elles choisissent (alors que c’est la recommandation officielle), et leur imposent leur idéologie : « Comment se fait-il que vous n’ayez pas encore d’enfant à 35 ans ? L’horloge tourne ! Dépêchez-vous ! »

Les femmes continuent à pâtir des mêmes préjugés qu’au moment de la loi Veil. Aujourd’hui encore, elles sont perçues d’abord comme des mères potentielles. Il suffit, pour en juger, de constater le triomphalisme des médias au sujet de la natalité française, la plus forte d’Europe. En dehors des Maternelles ou Nous ne sommes pas que des parents (France 5), on serait bien en mal de trouver sur le PAF des émissions de télévision ou de radio sur la contraception. Mais journaux et magazines regorgent de reportages sur les méthodes de procréation médicalement assistée… Clairement, gouvernements et professionnels de santé s’intéressent moins à la sexualité des citoyennes qu’à leurs capacités à procréer.

En France, en 2009, pour les politiques comme pour trop de médecins, les femmes n’ont toujours pas les mêmes droits à la sexualité que les hommes. Faut-il alors s’étonner que le gouvernement ait réduit de 40 % cette année les subventions aux associations locales du Planning familial ?

(1) Édition J’ai Lu, 3e édition 2007

(2) Édition Fleurus

(3) www.martinwinckler.com.

(4) www.choisirsacontraception.fr.