Intégration des immigrés, une politique peau de chagrin, par Laëtitia Van Eeckhout
LE MONDE | 20.02.09 | 14h00  •  Mis à jour le 20.02.09 | 14h00


Avant même sa prise de fonctions effective, Eric Besson l'annonçait : ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire, il allait mettre l'accent sur le deuxième "i" de son portefeuille. Le lendemain même de sa nomination, lors de sa première visite de terrain, choisie à dessein, à l'association Elele, il confirmait être "très attaché" à l'intégration des étrangers arrivant en France et, au-delà, de tous les citoyens d'origine étrangère.
Une volonté qui, selon un haut fonctionnaire fin connaisseur de ces dossiers, a été "une libération, un soulagement" au sein de ce qui reste de l'ancienne direction de la population et des migrations (DPM) et constitue, aujourd'hui, la direction de l'accueil, de l'intégration et de la citoyenneté (DAIC) du jeune ministère de l'immigration. Reste que les marges de manoeuvre léguées par son prédécesseur sont pour le moins restreintes.
Tout à son objectif d'atteindre 26 000 reconduites "effectives" à la frontière, Brice Hortefeux a beau n'avoir eu de cesse de déplorer "l'échec de l'intégration des immigrés depuis trente ans", il n'a guère donné d'impulsion à cette politique. "Dix-neuf mois ne suffisent pas à solder trente années d'échec. La rupture, c'est d'avoir enfin regardé la vérité en face", arguait-il le 13 janvier, en dressant devant la presse le bilan de son action au ministère de l'immigration. M. Hortefeux n'a de fait pas dépassé le constat, ramenant la politique d'intégration du ministère à une "peau de chagrin".
Cet amenuisement s'est traduit de manière drastique dans la loi de finances 2009 : de 195 millions d'euros en 2008, les crédits alloués à l'intégration ont été ramenés à 78 millions d'euros dans le budget du ministère (40 millions partant à la politique de la ville). Pour l'entourage de Brice Hortefeux, il ne s'agissait là que d'une "diminution apparente" due à "une clarification" du périmètre d'intervention du ministère.
L'action du ministère a été recentrée sur l'admission des nouveaux arrivants sur le territoire et leur suivi pendant les cinq premières années de leur présence en France. Période qui correspond à la durée légale requise - mais bien plus longue dans les faits - pour bénéficier d'une carte de résident et déposer une demande d'accès à la nationalité française.
Sauf que ce périmètre "clarifié" exclut désormais tout ce qui a trait à la lutte contre les discriminations, la promotion de l'égalité des chances, la diversité. Recentrée sur les cinq premières années de présence et reposant, selon M. Hortefeux, sur "un équilibre des droits et des devoirs", la politique d'intégration du ministère donne désormais la priorité à l'apprentissage de la langue et des valeurs de la République, dans le cadre du contrat d'accueil et d'intégration (CAI). La principale mesure d'intégration à l'actif de M. Hortefeux - l'instauration d'une évaluation de la connaissance du français et des valeurs de la République pour tout candidat au regroupement familial avant même son arrivée en France, qui le cas échéant peut déboucher sur une formation - s'inscrit pleinement dans cette conception.
Si nul ne conteste que la langue soit un vecteur essentiel d'intégration, cette mesure s'apparente cependant davantage à un instrument de contrôle et de sélection. Les associations doutent de la finalité réelle poursuivie et de la faisabilité équitable d'une telle mesure. Surtout, elles craignent un désengagement de l'Etat dans leur action d'accompagnement des migrants dans leur vie quotidienne en France, que ce soit en matière d'apprentissage de la langue, d'accompagnement social, d'accès aux droits, d'éducation à la citoyenneté, d'actions culturelles et interculturelles... Or, comme l'a expliqué au nouveau ministre, M. Besson, la présidente d'Elele, Gaye Peteke, "la politique publique d'intégration doit aussi s'intéresser aux personnes présentes depuis longtemps sur le territoire". Les besoins sont là au moins aussi importants, insistait-elle.
Reste qu'en l'état, la politique d'intégration du ministère, qui s'adressait jusqu'alors aux 5 millions d'immigrés (étrangers ou naturalisés) présents en France, n'a plus pour public cible que les quelque 110 000 migrants arrivant en France chaque année. Et pour seul vecteur, l'Agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations (Anaem) rebaptisée pour l'occasion Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII). L'Agence pour la cohésion sociale et l'égalité des chances (ACSE), amputée de 60 millions d'euros et de 60 emplois à plein temps, voit, quant à elle, ses missions recentrées sur la mise en oeuvre de la politique de la ville.
Comment dès lors pour le ministre de l'immigration, Eric Besson, défendre une pleine compétence en matière d'intégration de "tous" les immigrés ? Sans pouvoir disposer des moyens de l'ACSE, il lui sera difficile de mener une politique ambitieuse sur la citoyenneté, la lutte contre les discriminations, la diversité... N'ayant pas plus de deux ans d'existence, l'ASCE, mise en place à la suite des émeutes de 2005, avait pourtant été créée pour mettre en cohérence actions d'intégration et politique de la ville.

Service Europe-France
 
Laëtitia Van Eeckhout
Article paru dans l'édition du 21.02.09