Une circulaire encourage les immigrés clandestins à dénoncer leurs passeurs en échange d'un titre de séjour
LE MONDE | 06.02.09 | 14h38 • Mis à jour le 06.02.09 | 14h38
Pour le ministre de l'immigration, c'est "un signal aux mafieux" : Eric Besson a signé officiellement, jeudi 5 février, à la préfecture de police de Paris, une circulaire ouvrant la possibilité à des étrangers en situation irrégulière d'obtenir un titre de séjour en échange de leur "coopération" pour démanteler des filières. M. Besson s'est dit "plus que jamais déterminé" à employer "tous les moyens" contre les réseaux d'immigration clandestine.
Cette circulaire est une transposition d'une directive européenne de 2004. Elle autorise tout "immigré clandestin victime de proxénétisme ou (faisant) l'objet d'une exploitation dans des conditions indignes et qui souhaite coopérer avec les autorités administratives judiciaires" d'obtenir une carte de séjour temporaire, a expliqué le ministre. Ce titre de séjour sera renouvelable jusqu'à l'achèvement de la procédure judiciaire, si le clandestin décide de se soustraire à l'influence de ses exploiteurs et de porter plainte. Il pourra déboucher sur une carte de résident de dix ans en cas de condamnation effective.
LA PEUR RESTE FORTE
Dans la loi du 18 mars 2003 sur la sécurité intérieure, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'intérieur, avait fait adopter une disposition accordant aux prostituées étrangères des papiers si elles dénonçaient leurs proxénètes. La mesure ne s'est pas montrée probante. La peur reste forte chez les victimes : dénoncer, porter plainte, c'est risquer des représailles ou faire courir un danger à sa famille. La nouvelle circulaire pourrait se heurter aux mêmes écueils.
France Terre d'asile l'a jugée "spectaculairement inefficace", rappelant que six ans après la loi Sarkozy, "les victimes de la prostitution sont toujours là, sans papiers, simplement moins visibles sur les trottoirs, travaillant dans des conditions nettement plus dangereuses". De son côté, SOS-Racisme s'interroge : "L'Etat français est-il en situation de garantir la sécurité physique, dans les pays d'origine, des personnes appartenant à la famille de celles et ceux qui auraient décidé de dénoncer un passeur ?" L'association s'inquiète, en outre, d'"une officialisation des pratiques de délation".
M. Besson s'est dit "surpris, choqué" par le terme de "délation". "Les femmes battues qui portent plainte doivent-elles être accusées de délation ?, a-t-il demandé. Ces clandestins doivent-ils éternellement rester dans leurs ateliers, dans leurs caves, dans leurs arrière-cours de restaurants, sur les trottoirs de la prostitution ?" Pour le ministre, "il ne s'agit pas d'inciter des clandestins à dénoncer d'autres clandestins. Là, nous parlons de victimes !"
M. Besson a insisté sur le fait qu'il serait proposé aux immigrés clandestins "non seulement un titre de séjour, mais aussi un accompagnement social renforcé". La mesure, a-t-il admis, ne constitue pas "l'alpha et l'oméga de la régulation des flux migratoires, mais apporte un moyen supplémentaire pour briser la loi du silence". Ses effets seront évalués "dans six mois, un an".
Laetitia Van EeckhoutArticle paru dans l'édition du 07.02.09