Eglantine Morvant - Le Fantasme d'un exil pour le Misanthrope - dernier fil du lien social pour une âme rongée jusqu'à la corde.

Le Misanthrope de Molière présente un paradoxe autour de l'exil d'Alceste. Dès l'ouverture de la pièce, ce dernier formule le projet de quitter "le monde", celui des courtisans hypocrites, mais il lui faut pourtant cinq actes pour s'y résoudre véritablement. Face à ce monde qui lui est devenu insupportable, Alceste se destine à une forme d'auto-exil, d'éloignement volontaire suivant une double motivation. Politique d'abord (au sens étymologique), Alceste veut quitter la compagnie des hommes qui vivent entre eux comme des loups, où les règles du vivre-ensemble sont fondées sur la dissimulation, les semblants et l'hypocrisie ; éthique ensuite, dans ce monde corrompu par l'hypocrisie, les hommes ont perdu leur visage humain, leur dignité d'homme. Cet éloignement volontaire ne renvoie pas à l'action de se retirer dans un lieu connu, synonyme d'isolement, mais évoque au contraire un départ motivé par la quête d'un ailleurs, encore inconnu, où l'homme puisse renouer avec lui-même, vivant avec autrui dans une relation de sincérité et de franchise.

Toutefois, ce projet d'auto-exil semble relever davantage du fantasme, conçu telle une soupape de sécurité, que d'un désir réel. Comme le révèle la mise en abyme autour de son départ de la maison de Célimène, Alceste est le personnage qui annonce sa sortie sans s'exécuter. En agitant la possibilité de quitter le monde, Alceste se ménage une issue de secours et peut ainsi garder espoir : dans un ailleurs, mais également dans ce monde-ci. En somme, ce fantasme de l'exil est le dernier fil qui relie Alceste à ce monde et Célimène est celle en qui il fonde tous ses espoirs. En elle, il souhaite trouver une âme soeur auprès de laquelle forger l'exigence de vivre autrement. C'est précisément quand cet espoir s'effondre, que le lien se rompt et que l'exil pour la quête d'un ailleurs devient possible.